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10 jours
77 min
Iran, 1989

Production : Kanoon (Institute for the Intellectual Development of Children & Young Adults)
Persan
Français

Portrait



Résumé


De jeunes élèves sont interrogés par Abbas Kiarostami. Face à la caméra, ils racontent leur vie, le soir, après l’école : les dessins animés, les devoirs avec leurs parents souvent illettrés, les châtiments corporels et les rares encouragements.

L'avis de Tënk


La première chose qui marque dans ce documentaire d’Abbas Kiarostami ce sont les visages candides et les regards allumés des enfants qu’il rencontre et qu’il interroge (que des petits garçons) dans la rue. L’émotion est immédiate, et non pas uniquement parce que ces enfants joyeux, curieux et intelligents ont la vivacité contagieuse, mais parce qu’ils évoquent aussi instantanément d’autres enfants, ailleurs, dans d’autres écoles tout près de nous et au loin, qui nous touchent ou nous ont touché·e·s avec cette même candeur et cette même curiosité vives. Sans compter qu’ils évoquent aussi ces enfants inoubliables des films de François Truffaut, cordés à leurs pupitres dans Les 400 coups et turbulents dans leurs classes dans L’argent de poche. Les enfants rencontrés par Kiarostami vivent pourtant une vie bien différente des petits Français de Truffaut ou des petits Occidentaux proches de nous, alors qu’ils sont endoctrinés dès l’âge le plus tendre, par des mantras répétés en cœur dans la cour d’école, à idolâtrer le premier imam, l’Islam et les islamistes vainqueurs de l’Est, de l’Ouest et de Saddam. Et pourtant, même si le cinéaste n’hésite pas à exposer ces grandes séances de lavage de cerveau pour ce qu’elles sont, sans insister afin de laisser les spectateur·trice·s se faire leur propre idée, ce n’est pas ce qui l’intéresse. Non, ce qui l’intéresse vraiment, ce sont ces enfants et leurs devoirs, la façon dont ils font leurs devoirs (ou ce qui les en empêche), leurs rapports avec ces leçons et avec les personnes qui exigent qu’elles soient apprises, ce qu’ils en retirent, leurs joies, leurs peines, leurs punitions, leurs récompenses (inexistantes), la façon dont ils intègrent leurs devoirs dans leur routine du soir alors que les parents sont souvent trop occupés ou fatigués pour superviser. La peur, aussi.

Les entrevues des enfants, tournées en plans pratiquement fixes à hauteur d’yeux, sont entrecoupées de plans de Kiarostami posant ses questions de derrière ses légendaires verres fumés et de plans de l’opérateur filmant, immobile derrière sa caméra, comme s’il était toujours là, dans un coin, à capter ces enfants qui ne peuvent échapper à l’interrogatoire. Kiarostami aime les paradoxes et son traitement des enfants n’a pourtant rien d’une épreuve. Il a beau être direct et poser des questions difficiles (la vie de famille et scolaire n’est pas facile pour beaucoup de ces bambins), son ton de voix demeure pourtant conciliant, intéressé, amical, simple, sans jugement. La profonde humanité est bien ce qui a fait la marque du grand cinéaste iranien et, dans ce remarquable documentaire de sa première période, il applique cette humanité infinie à démontrer par l’accumulation de témoignages l’impact de la rigidité du système d’éducation iranien dans le façonnage de la dépersonnalisation de ces citoyens les plus jeunes (le témoignage de deux adultes, qui dénoncent les méthodes et la pression engendrée par celles-ci, est inattendu, singulièrement éloquent). Kiarostami nous montre ces enfants avant qu’ils entrent complètement dans le moule, au moment où ils sont encore entiers, vibrants de leur individualité propre. De savoir que leur traitement et leur éducation finiront probablement par avoir raison de celle-ci et en feront des conformistes purs et durs est terriblement troublant et émouvant. On peut oser espérer que certains suivront plutôt la voie préconisée par l’adulte interviewé et par Kiarostami lui-même, en réussissant à préserver une certaine liberté de pensée.

 

Claire Valade
Critique et programmatrice

 

 

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