Item 1 of 4

59 jours
82 min
Portugal, Allemagne, 2018

Production : O Som e a Fúria, Lamaland, Mengamuk Films
Roumain, Russe
Français, Anglais

Prix spécial du jury de la Compétition internationale (longs métrages) · RIDM 2018

Mémoire



Résumé


Depuis la chute de l’URSS, la question des frontières et des territoires est demeurée un sujet sensible, voire explosif. Au cœur d’Extinction se trouve Kolya, un jeune Moldave qui se revendique comme un citoyen de la Transnistrie, non reconnue par la communauté internationale. Salomé Lamas mêle fiction et documentaire pour mieux saisir le climat de violence larvée qui plane aujourd’hui sur cette région où l’imaginaire soviétique est encore très présent.

L'avis de Tënk


Il y a quelque chose de curieusement tarkovskien dans ce long métrage documentaire de Salomé Lamas. D’abord dans sa photographie très atmosphérique et son utilisation d’un noir et blanc très stylisé évoquant la patine et la texture des films du maître russe, même ceux en couleur. Puis, il y a ces plans et ces cadrages, très précis tout en étant à la fois mystérieux et déstabilisants, évocateurs de mondes cachés ou d’histoires en suspens, parfois étrangement surréalistes. Comme ce champ-contrechamp entre un homme barbu (un historien? un journaliste?) et le protagoniste du film (un Transnistrien type?), pratiquement toujours muet, qui ne fait qu’écouter, au milieu d’une structure formée de gigantesques statues d’allure soviétique, le premier perché en hauteur, le second sur le sol, appuyé contre un bloc de la structure. Ou comme ce travelling en voiture dans la nuit, interrompu par un demi-tour au milieu de la route pour révéler, sous le faisceau des phares, ce qui ressemble à un arrêt de bus en mosaïque où attend le protagoniste, assis dans le silence et la noirceur. Il y a aussi cette bande sonore touffue alliant bruits industriels ou médiatiques, musique nerveuse ponctuée d’éclats de trompettes et de violons stridents, et chants patriotiques traditionnels occasionnels en arrière-plan. Il y a aussi ces rencontres entre le protagoniste et des personnages énigmatiques tout droit sortis des mécanismes du cinéma de fiction, qui lui racontent par métaphores des bribes glaçantes de l’Histoire de son pays fantôme et de la Russie, comme cet homme barbu susmentionné, ou cette femme élégante en manteau à col de fourrure et à chapeau cloche qui explique la complexité des différentes mafias du continent, ou encore cet homme à casquette qui parle du train imaginaire du rêve des leaders soviétiques depuis Lénine sur fond de nuages du couchant.

Extinction se penche avec intelligence et inventivité, à la manière d’une enquête kaléidoscopique en mode film noir, sur la situation de l’État indépendant (non reconnu internationalement) de la Transnistrie, territoire bordurier coincé entre la Moldavie et l’Ukraine, et appuyé par la Russie qui y a déposé plusieurs milliers de militaires. Je mentionnais Tarkovski parce que, dès les 15 premières minutes, il est difficile de ne pas penser à Stalker (1979), avec ces discussions de frontières et de passeports, de zone non définie, en flottement, entre états reconnus et plus puissants, avec ces images et ces éléments décrits plus haut. Les contours flous du protagoniste choisi par Salomé Lamas — un homme aux cheveux très courts et au visage neutre — pour porter son propos, rappellent aussi les personnages-symboles du film de Tarkovski. Il traverse ces bordures et la cinéaste nous présente ses échanges avec les garde-frontières sur un écran bleu, uniquement en sous-titres, sans images, puisque le tournage est interdit en ces lieux de passage. Seules traces documentaires pures? Des voix off : une narration historique sur le ton du conte de fées et des conversations faussement badines entre personnes jamais identifiées, qui s’interrogent sur leur pays, parfois sur des images du protagoniste, parfois sur des gros plans d’objets, comme un petit magnétophone à cassettes, souvent sur des plans du paysage transnistrien. C’est une approche élégante et captivante pour raconter un pays qui n’existe que pour ses habitant·e·s, simple territoire pour le reste du monde, hanté par le souvenir de l’ordre et du joug soviétique, tiraillé entre l’attrait de rejoindre officiellement la Russie et la conscience du double héritage soviétique poutinien que cela comporterait.


 

Claire Valade
Critique et programmatrice

Item 1 of 4
Item 1 of 4

Item 1 of 4