Résumé
Barbara Hammer entremêle des images saisissantes de quatre couples gais et lesbiens contemporains avec des séquences d’une histoire enfouie, interdite et invisible, cherchant dans les émulsions et les images érodées des vestiges perdus de la culture queer.
L'avis de Tënk
« Quand j'étais jeune, l'absence du passé était une terreur. » - Derek Jarman
Dans l'œuvre de Hammer, l'archive fonctionne comme un lieu de mémoire, ouvrant la possibilité d'une rencontre avec l'histoire qui place le passé en conversation avec le présent. De même, Nitrate Kisses ne s'intéresse pas à une réécriture de l'histoire, mais plutôt à la manière dont l'histoire est créée, enregistrée et préservée; aux histoires qui sont sauvegardées et comment elles le sont, et à celles qui sont écartées, en marge. En d'autres termes, il s'agit d'une réponse à une archive qui se caractérise autant par l'absence que par la présence.
Nitrate Kisses juxtapose des scènes dépeignant plusieurs identités marginalisées, notamment des lesbiennes âgées, un couple gai interracial et une scène sadomasochiste entre deux lesbiennes de couleur, en les entremêlant avec des scènes de l'un des premiers films queer aux États-Unis, Lot in Sodom (1933). Profondément discursif, hypertextuel et haptique, le film met en parallèle les scènes illustrant la libre expression de la sexualité avec la répression, la censure et l'effacement qui ont régi son passé, tels que des extraits du Code Hays, le code ultra conservateur qui interdisait toute représentation de la « perversion sexuelle » dans les films. Dans une approche tout aussi expérimentale, Hammer fait coïncider la temporalité et la matérialité du médium cinématographique avec la corporalité représentée à l'écran. Rejetant l'affirmation de Derrida sur l'impossibilité d'archiver la mémoire, Hammer trouve refuge et liberté dans la notion de verticalité de Maya Deren, en superposant des images pour transmettre une cascade d’émotions et d’explorations sensuelles du corps.
Dans sa recherche de traces d'un passé queer fragmenté, Hammer orchestre efficacement une perturbation cinétique et temporelle qui aboutit à la sauvegarde d'un avenir pour les générations queer qui suivront.
« L’érotisme mesure la distance qui sépare les premiers pas de la conscience de soi du chaos de nos émotions les plus profondes. Une fois que nous en avons fait l'expérience, nous savons que nous pouvons aspirer à cet accomplissement intérieur. Une fois que nous avons fait l'expérience de la plénitude d'une telle émotion, et que nous en reconnaissons la puissance, nous ne pouvons pas, en toute fierté et en toute dignité, exiger moins de nous-mêmes. » (Audre Lorde, De l’usage de l’érotisme: l’érotisme comme puissance - Sister Outsider: Essais et propos)
Bouchra Assou
Programmatrice et archiviste
Responsable du développement des marchés anglais à Tënk